Un

Un

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Amour, L'autre

24 Apr 21

Un seul.
On cherche sa moitié d’orange… pour redevenir un seul.
Mais d’où nous vient cette impression d’être incomplet ? Désespérément à la recherche de quelque chose qui nous contienne, une aspiration à rencontrer l’autre, une urgence à combler un manque. Même déçus cent fois de l’amour, on veut croire encore et toujours profondément que le bonheur passe par ce morceau qui nous fait défaut. On ressent cette insuffisance comme une pièce manquante. S’achever. Redevenir complet….
Tout au long de notre vie on essayera de se retrouver en un autre dans une tentative de ressentir cette unité, cette façon dont on a été confiné, dans un ventre, dans une sécurité, tout au début. Cette sensation d’être contenu.e dans une chaleur humide, ça vous fait penser à rien ?!? 😉

Du toucher à la fusion
Je me demande si finalement la sexualité ne devrait pas plutôt appartenir au domaine de l’amitié plutôt qu’à celui de l’amour. Ou celui de la connivence, de la complicité, de la sensualité. Mais pourrait-on définir nos relations autrement que par les termes « amicales » ou « amoureuses » ? Est-on prêts à ouvrir une nouvelle catégorie, un nouveau champ des possibles ? « Bonjour, je te présente Stefan, mon sensuel » 😳. Et finalement, ça ne pourrait pas être « Stefan » tout court ?! Plutôt que mon mari, mon ami, mon amant… (vous noterez le possessif, comme en fait je définis toujours l’autre par rapport à moi-même). Qu’est-ce qu’on a besoin de savoir si je couche avec ou pas finalement ? Je t’en pose des questions, moi ? Combien de fois par semaine tu couches avec ta femme ?
Le sexe dérange, se démarque, et on ne sait plus très bien quoi en faire, où le mettre.
Le fait qu’on ait chosifié le sexe l’a séparé de la tendresse et de l’amour, de l’échange tout court. C’est devenu une réalité en soi, qu’on peut payer, voir, échanger, texter, filmer… On en a fait une « chose » séparée, gauche, bizarre, hiérarchisée, inclassable et plus vraiment intégrée dans la panoplie de nos formes de communication.
C’est vrai que dans le domaine de l’amour la sexualité s’exalte. Elle perd son côté sale, elle devient poétique. Mais de rendre la sexualité exclusive à l’amour fait de nous des handicapés du toucher, du partage au travers du plus envahissant des sens.

Parfois il ne me manque qu’un touché, juste comme ça : surtout de pas utiliser mon cerveau, ne pas penser, ne pas analyser pour me laisser aller. Cette sensation d’être contenue juste dans le sens et non dans la forme me rassure et me donne une certaine légitimité dans l’absolu : je suis juste du sens, je n’ai plus besoin de m’expliquer, d’élucider ma vie, en référer à mon passé, à mon avenir, mes torts, mes raisons, mes désillusions et mes amours. Je “suis” juste. Et telle quelle on me prend entièrement, dans les bras, on me contient.
Quand je me sens pénétrée et que je peux à mon tour embrasser (avec mes bras, et mes jambes), c’est comme si je retournais à ce fantasme originel de ne faire qu’un et d’être totalement protégée. Je me perds le temps d’un instant dans ce délice, dans cette transe, où je ne suis plus qu’essence, potentiel. Enfin mon esprit me lâche, Il me libère de ses sempiternelles justifications, légitimations, wokismes. Pourquoi suis-je blanche, cisgenre, Pourquoi suis-je là, et pas plutôt là-bas, pourquoi je fais ça et que je l’ai aimé lui. Pourquoi est-ce qu’il ne m’aime pas. Dans ces moments-là où je me rassemble, je me réunis avec l’autre, dans ces moments où je me fonds avec la nature quand je ferme les yeux et que je la laisse rentrer tout entière en moi, en pleine conscience, je retrouve le Un.


Le fantasme du couple
Peu à peu au cours les derniers siècles, nos villages, nos clans, nos familles élargies se sont atomisés sur la toile. Nous avons perdu un sentiment d’appartenance, pour plus d’indépendance mais aussi plus de solitude : nous avons des milliers de contacts, mais personne pour donner à manger au chat quand on est pas là. Le couple reste le seul endroit que l’on investit du devoir de nous servir l’intimité qu’on pense qui nous est due : c’est là que je vais abriter toutes mes peurs, que je vais me lover, rentrer dans cette coquille qui me protègera de l’extérieur. Pénétrons-nous, restons cachés, en sécurité.
De là à lier le couple au sexe, il n’y a qu’un pas. Si l’on y ajoute notre soif de toute puissance qui nous mène au désir de possession de l’autre (mon mari) pour se rassurer, pour dominer, maitriser le présent et l’avenir, il m’apparait évident que c’est là que je veux m’engouffrer pour assouvir mon fantasme de retrouver le Un.
Mais voilà. Ce n’est qu’un fantasme, un symbole 😬
À vouloir le matérialiser dans le couple, on tente de réparer des névroses passées en manipulant le présent - ça marche pas !
On est bien souvent en difficulté, et quasi toujours en échec…

De l’Un je ne veut donc garder que l’idée, la sensation d’appartenance, de fusion, de reconnaissance lorsqu’elle m’envahit.
Je ne peux que l’approcher, le ressentir, au travers d’une caresse ou d’une émotion. C’est un vague souvenir, une sensation que je connais déjà et que j’essaye souvent de retrouver.
Je cultive ces moments fugaces et intenses, mais je les laisse là où ils appartiennent : au présent, libres.

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